Responsabilité sociale et environnementale des entreprises : priorité à la durabilité !

La récente directive sur la publication d’informations de durabilité par les entreprises, dite CSRD, est un petit Big Bang. S’il vise à renforcer la responsabilité des entreprises, le dispositif va d’abord les obliger à s’organiser. Dans cette chronique, Myriam Roussille, professeur agrégé de droit à l’Université du Maine, revient sur les changements majeurs apportés par le texte.

Le mouvement de responsabilisation des entreprises s’accélère. Depuis le début des années 2000, parallèlement aux engagements spontanés de certains acteurs économiques en faveur de la responsabilité sociale et environnementale (RSE), la Commission européenne a manifesté son intention de promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, à travers un livre vert. Erigée en nouvelle stratégie de l’UE pour la période 2011-2014, la RSE est progressivement devenue une source de réglementation pour les entreprises, et plus particulièrement pour les grandes entreprises. Le levier privilégié par les autorités est classique : il s’agit de la transparence. L’idée – du moins dans un premier temps – était de contraindre les plus grands acteurs à faire la lumière sur leur exposition aux risques sociaux et environnementaux, mais aussi sur les actions qu’ils mettaient en œuvre pour réduire ces risques.

La France avait été pionnière en la matière en imposant aux grandes entreprises françaises dès 2010, avec la loi Grenelle II, d’inclure dans leur rapport de gestion « des informations sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité ainsi que sur ses engagements sociétaux en faveur du développement durable ». L’UE a adopté, en 2014, une directive concernant la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes, dite  » directive NFRD  » pour  » Non-Financial Reporting Directive « .

A noter : la CSRD a modifié la directive du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents, dite  » directive comptable « .

Cette déclaration sera rapidement reléguée au rang de relique car elle sera supplantée, à partir de 2024 et progressivement, par une nouvelle approche plus ambitieuse : le reporting de durabilité. En effet, la directive (UE) 2022/2464 du 14 décembre 2022, dite  » CSRD  » pour  » Corporate Sustainability Reporting Directive « , organise désormais la publication d’informations sur le développement durable par les entreprises.

Elle introduit des changements importants par rapport à la directive NFRD en élargissant considérablement le nombre d’entreprises concernées, mais aussi en standardisant les informations qui doivent être publiées et en imposant des indicateurs quantitatifs. Au-delà des aspects techniques, c’est surtout parce qu’il marque l’entrée dans l’ère de la durabilité que le nouveau texte marque une étape importante en matière de RSE.

Près de 50 000 entreprises concernées dans l’UE.
Sous l’influence de la directive NFRD, la déclaration non financière ne concernait que les entreprises les plus importantes de l’UE, dites  » entités d’intérêt public  » (Dir. 2013/24/UE préc., art. 2, 1), à savoir les entreprises cotées sur un marché réglementé et les entreprises du secteur financier (banques, assurances), les États pouvant choisir d’étendre l’obligation à d’autres entreprises (pour la France , voir : C. com., art. L. 820-1, III concernant les entités d’intérêt public et C. com., art. R. 225-104 fixant les seuils pour les autres entreprises).

La directive CSRD élargit considérablement le champ d’application du reporting : elle vise les grandes entreprises et toutes les sociétés cotées, ainsi que les groupes composés d’une société mère et de filiales incluses dans une consolidation ; en réalité, seules les micro-entreprises bénéficieront d’une exemption catégorielle. Puisque les informations sur la durabilité devront être incluses dans le rapport de gestion (comme l’était auparavant la déclaration non financière), la directive sur les états financiers annuels, les états financiers consolidés et les rapports y afférents, dite  » directive comptable « , est modifiée (Dir. 2013/34/UE préc., art. 19 bis et 29 bis).

Si le dispositif vise donc un très grand nombre d’acteurs, les règles applicables sont néanmoins adaptées au profil de chacun. Pour les sociétés cotées qui étaient déjà couvertes par le CNRD, le dispositif est renforcé par la responsabilisation des personnes responsables au sein de l’émetteur. La directive sur l’harmonisation des obligations de transparence concernant l’information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé, dite  » directive transparence « , le prévoit désormais (Dir. 2004/109/CE, art. 4.2 .vs)). Les plus petites sociétés, au regard des critères de seuil, seront au contraire soumises à un régime de déclaration simplifié (Dir. 2013/34/UE préc., art. 29 quarter).


Elles devront seulement décrire :

  • brièvement leur modèle d’entreprise et leur stratégie ;
  • leurs politiques en matière de développement durable ;
  • les principales incidences négatives réelles ou potentielles sur les questions de durabilité, ainsi que toute mesure prise pour les identifier, les contrôler, les prévenir, les atténuer ou les corriger ;
  • les principaux risques pour l’entreprise qui sont liés aux questions de développement durable et la manière dont l’entreprise gère ces risques, ainsi que les indicateurs clés de performance associés.

Enfin, en ce qui concerne les entreprises dont la société mère est établie dans un pays tiers, des règles spécifiques sont prévues (Dir. 2013/34/UE précédent, art. 40 bis), ainsi que certaines exemptions ( 29a(8).

Au final, ce sont donc près de 50 000 entreprises qui seront concernées par le reporting de développement durable, contre environ 11 700 actuellement soumises au reporting non financier.

Normalisation des informations et quantification des performances.
Les normes relatives aux rapports sur le développement durable seront clarifiées par la Commission dans les mois à venir. Au plus tard le 30 juin 2024, les actes délégués devraient normaliser certains des éléments du rapport de développement durable.

L’un des changements majeurs de la directive CSRD est d’obliger les entreprises à quantifier les mesures qu’elles ont prises, ce qui doit permettre aux investisseurs, partenaires financiers et autres parties prenantes de pouvoir comparer les efforts réalisés par les différents acteurs auxquels ils s’intéressent et de pouvoir évaluer leur trajectoire d’amélioration au regard des objectifs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). La comparabilité est en effet l’objectif majeur, qui nécessitera la mise en place d’indicateurs clés de performance. A cet égard, la Commission pourrait s’appuyer sur les travaux menés par le Groupe consultatif pour l’information financière en Europe (EFRAG), qui est en mesure de fournir des conseils techniques sur les normes d’information en matière de durabilité (Dir. 2013 /34/UE précitée, art. 29 ter 2 et c).

Par ailleurs, les professionnels du contrôle comptable et les cabinets d’audit se voient confier une nouvelle mission : ils sont chargés de veiller à l’information sur la durabilité, ils doivent vérifier l’exécution des procédures avant d’émettre un avis sur le reporting réalisé par l’entreprise qu’ils contrôlent. L’information sur le développement durable doit donc faire l’objet d’une vérification obligatoire par un auditeur ou, pour certaines entreprises, par un organisme tiers indépendant. La directive concernant les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés, dite « directive audit », prévoit désormais que les professionnels de la comptabilité peuvent être agréés pour délivrer eux-mêmes une assurance. Si un niveau d’assurance « modéré » est actuellement requis, le passage à un niveau d’assurance « raisonnable » pourrait être exigé à partir de 2028.

Entrer dans l’ère de la durabilité.
De l’information « non financière » exigée par la directive NFRD à l’information « durable » désormais promue par la directive CSRD, l’évolution n’est pas seulement cosmétique. Elle s’inscrit dans un arsenal de mesures plus larges, qui se combinent les unes aux autres. Finance durable, devoir de diligence des entreprises en matière de durabilité : La « durabilité » devient le mot clé dans ce domaine.

En réglementant les thèmes et les données que les entreprises devront publier chaque année, la directive CSRD permettra à leurs partenaires, directs ou indirects, dans leur financement et leur attractivité sur les marchés, de pouvoir comprendre comment elles inscrivent leurs activités dans les Objectifs de Développement Durable. Les investisseurs, les prêteurs, mais aussi plus généralement tous les acteurs financiers impliqués dans la production de produits d’investissement (fonds), leur conseil ou leur distribution (via, par exemple, l’assurance-vie), doivent pouvoir comprendre comment l’entreprise se situe par rapport à la nouvelle grille de lecture des activités durables et évaluer les mesures qu’elle prend pour améliorer sa performance.

Cette grille de lecture résulte d’un règlement de juin 2020, qui vise à établir un cadre pour promouvoir les investissements durables. Le « règlement taxonomie » est le complément naturel de la nouvelle directive CSRD, puisqu’il permet de déterminer si une activité est durable ou non. Il pose les bases des règles qui permettront de définir les informations qui doivent être publiées par les entreprises en matière de durabilité :

  • la part de leur chiffre d’affaires provenant de produits ou services associés à des activités économiques durables ;
  • et la part de leurs dépenses d’investissement ainsi que la part de leurs dépenses de fonctionnement liées à des actifs ou des processus associés à des activités économiques durables.

La logique européenne va au-delà de celle adoptée outre-Atlantique dans ce domaine : si les normes IFRS américaines imposent aux entreprises de prendre en compte l’impact des risques sociaux et environnementaux sur leurs résultats comptables, l’UE y a ajouté, depuis 2014, la prise en compte de l’impact des activités sur leur environnement social et naturel. C’est ce qu’on appelle la « double matérialité », qui conduit à vérifier si l’entreprise se comporte de manière responsable au regard des critères ESG.

Mais le mouvement devrait prendre encore plus d’ampleur avec la future directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité qui est actuellement en cours d’adoption. Au-delà du reporting prévu par la directive CSRD, qui se limite toutefois à la publication d’informations, la future directive sur le devoir de vigilance imposera de nouvelles obligations aux entreprises puisqu’elles devront prévenir, stopper ou, à tout le moins, atténuer l’impact de leurs activités sur les droits de l’homme ou les atteintes à l’environnement. Et ce sera probablement une toute autre paire de manches…

Retour en haut